Les Dolomites de Sexten
Ici les gens parlent allemand à l'italienne, ici les villages ont été mangés par les voitures, ici les Drei Zinnen sont aussi Tre Cime, ici le camping avait des salles de bain comme des grottes tapissées de diamants, ici les gens prennent le temps de prendre le temps et, pourtant, les bus sont à l'heure, ici la montagne est roc, pic, phallus, ici nous avons trouvé "Zazie dans le métro", en français, dans les liquidations de la bibliothèque municipale.
dim.
17
juin
2018
18 Juillet 14:06, Dolomites de Sexten
comme une suite de Bach

Le regard a choisi la pierre.
Il choisit la longueur de la foulée, calcule la vitesse qui amenera le pied à l'instant "juste". L'instant "juste", c'est important. Cet instant où le pied basculera le corps, le balancera vers l'incertain du pas suivant. S'il n'est pas juste, si la foulée n'est pas bonne, la vitesse non ajustée, alors le rythme est brisé, celui du pas, rythme intérieur.
Du regard qui calcule au pas qui bascule, le mouvement descend. La tête s'incline, les épaules tournent, à peine, et placent les hanches qui entraînent les cuisses. Les jambes feront le reste, hors du regard qui, déjà, a glissé au pas suivant, et cherche la pierre...
Marcher c'est danser. Je me souviens que la musique est belle quand la note survient comme une surprise prédictible. Marcher en montagne, c'est ajuster la surprise d'un sentier à la prédictibilité de son balancement intérieur.
Marcher en montagne, c'est danser une suite de Bach.
dim.
17
juin
2018
17 Juillet 6:43, Dolomites de Sexten
Chant de cîmes

Nous avons posé nos tentes sur le plat de l'épaule de la montagne. L'herbe y est rase et douce. Quelques linaigrettes l'étoilent de coton blanc. Hier soir, venant de la paroi dressée derrière nos tentes, des chants. Sans doute un bivouac d'alpinistes. Nous les imaginions, coincés et supendus à leur corde. Etendus dans l'herbe, nous écoutions leurs chants.
lun.
21
nov.
2011
17 juillet 18:35, Dolomites de Sexten
Tête éclairice

J'étais partie avec des promesses plein la tête, d'écrire, de réfléchir, de questionner, de répondre surtout… Et rien de tout cela.
Au fil des jours, ma tête se faisait plus vide. Plus de repère, que les balises du chemin. Plus d'identité, que la mienne, sans artifice, sans miroir aussi. Mais plus, davantage, de réalité, celle du chemin et celle de mon être chaussé de godasses qui s'y appuie et s'y propulse. Une expérience de réalité renouvellée tout au long de la journée et de jour en jour.
J'avance sur le sentier. J'existe parce que j'avance sur le sentier. Simplement parce que j'avance sur le sentier. Et dans ma tête, rien d'autre que cette réalité-là, le souffle du vent, un brin d'herbe improbable entre deux pierres, un rai de lumière, l'appel d'une marmotte…
Tout est là. Et le soir venu, fermant les yeux, c'est dans son corps que le marcheur au long cours ressent sa journée de marche. Dans sa tête, c'est le vide… le vide apaisant d'une certitude muette. Celui qui marche la journée et devenu sûr le soir.
dim.
20
nov.
2011
17 juillet 15:58, Dolomites de Sexten
La croix

Niels a voulu aller voir la croix posée sur le petit sommet. Nous avons laissé les sacs près du chemin et nous sommes montés. Au pied de la croix, il y avait un carnet pour écrire ce que l'on veut y dire, et puis le vent.
Le carnet a cette consistance craquante du papier mainte fois feuilleté, humidifié, sèché, lu et relu. Nous plongeons dans les mots laissés par les marcheurs qui nous ont précédés. nous y laissons les nôtres.
dim.
25
sept.
2011
16 juillet 18:24, Dolomites de Sexten
Penser

penser ...
penser à la journée qui vient de se terminer
penser au col, au sommet, aux vallées,
penser simplement à la montagne qui défile devant nos yeux ébahis
penser aux sons des oiseaux, au vent dans les cols, au brame du cerf
penser aux pas que nous faisons et qui nous permettent de relier deux vallées, deux massifs; ces pas qui nous ont permis de relier deux mers ...
penser au bruit de la pluie qui vient frapper sur le toit de notre tente, au bruit du torrent qui relie les glaciers à la mer : c'est un peu le chemin que nous avons suivi, nous avons été pendant trois mois des torrents, des lacs, des fleuves pour venir nous échouer dans la Mer Méditerranée
penser à tellement de choses qu'il est impossible de les citer toutes, mais surtout.. ne pas penser au retour, aux voitures, à l'excitation,....
penser à rien, faire le vide,...
ven.
09
sept.
2011
18 juillet 12:57, Dolomites de Sexten
Ce chien de mer

La montée est raide sous les pins Cembro. Bientôt, je le sens, la lumière va prendre le pas sur l'ombre. J'arrive à la limite des arbres. Au prochain lacet sans doute, je vais basculer dans l'alpe.
Je conserve le rythme, l'accélère même, je suis seul devant. J'aime cela. Défricher, prendre le pas premier, me pousser en avant, plus vite si la montée est plus raide. Le regard porte juste devant. Un mètre, deux mètres ? Il faut anticiper le placement du pied. Créer Ce balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure comme disait Léo. Le balancement de la marche est pareil à celui de la vague. Comme la marée qui porte à avancer, à conquérir la plage, la mouiller devant soi.
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Le lacet, les arbres s'effacent, la lumière arrive, je tourne : il est là.
Inondé de lumière, chien de mer échoué sur une plage improbable. Baleine, phoque? L'usure du temps ne distingue plus. Mais il est luisant encore de la marée à peine retirée. Son oeil fige mon pas. Son regard défie le temps, l'espace, l'espèce, la réalité. Je me suis arrêté. Comment cette souche brune, presque noire, usée par les orages, brulée par la lumière, raidie par l'altitude et les hivers a-t-elle pris cette forme, cette attitude, ce regard de chien de mer.
La marée je l'ai dans le coeur
Qui me remonte comme un signe
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre
Une mathématique bleue
Dans cette mer jamais étale
D'où nous remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles
Longtemps je garderai le regard de ce chien de mer comme un message personnel, violent et protecteur. Le laissez-passer d'un gardien m'ouvrant un monde nouveau. Regard qui transcende le voyageur. Le fait basculer à l'intérieur du paysage, traverser le décor pour en être partie, intimement. Enfin.
sam.
16
juil.
2011
17 Juillet 2010 17:10, Dolomites de Sexten
fleurs

Elle a planté sa tente au milieu du pré. De la route, les gens la regardent. Elle intrigue. Ce n'est pas un endroit pour s'installer. Le pré était vide alors elle s'y est posée, au milieu des fleurs.
Elle aimerait faire signe aux gens qui la regardent, leur dire "Voyez, j'ai choisi les fleurs".
Mais peut-être les gens regardent-ils seulement si elle n'écrase pas les fleurs?
Alors, elle rentre dans sa tente pour ne plus voir ni les gens, ni les fleurs.